Passer de la parole aux actes

Lorraine Rousseau

La visite du pape François a fait la une des journaux nationaux et internationaux. Tout comme de nombreuses personnes partout au Canada, j’ai regardé les reportages en direct et écouté les excuses tant attendues. La visite a commencé par des excuses et s’est terminée à Iqaluit par des excuses. Le pape a présenté ses excuses et demandé pardon tout au long de ce qui a été qualifié de « pèlerinage pénitentiel », un voyage pour la guérison et la réconciliation.

Les excuses du Pape ont, sans aucun doute, apporté un peu de baume au cœur des survivantes et survivants, de leurs familles et de toutes les personnes touchées. Mais elles ont aussi rouvert des plaies qui n’ont jamais vraiment guéri et ravivé des souvenirs douloureux et traumatisants.

Qui dit excuses, dit aussi pardon, mais le pardon ne rime pas avec oubli ou indifférence. Le moment est-il venu de clore ce chapitre et de passer à autre chose? Les excuses sont certes un grand pas vers la réconciliation, mais il reste encore du chemin à parcourir. Il faut maintenant joindre le geste à la parole.

C’est un génocide!

En route vers Rome, le pape François a déclaré que ses propos des derniers jours sur les pensionnats et l’assimilation forcée des Autochtones décrivaient en fait un « génocide ».

« J’ai demandé pardon pour ce qui a été commis – un génocide –, que j’ai condamné. Enlever les enfants, s’efforcer de supprimer la culture, la mentalité, les traditions – de modifier une race, toute une culture… oui, c’est ce que je qualifie de génocide. »

Selon les Nations Unies, le génocide s’entend de l’un ou de plusieurs des actes suivants, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux :

  1. Meurtre de membres du groupe;
  2. Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
  3. Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
  4. Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
  5. Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

J’ai parcouru cette liste afin de recenser les actes commis pendant et après la colonisation du territoire. J’ai coché la quasi-totalité de ses éléments. Il est hors de question de passer sous silence le legs de la colonisation. Bien souvent, les nations mettent une croix sur le passé, mais la violence à l’égard des Autochtones n’appartient pas au passé. Les personnes survivantes et leurs familles sont encore endeuillées, et leurs blessures ne sont pas cicatrisées. Les familles des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées ainsi que celles des personnes bispirituelles attendent toujours que justice soit faite.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation dénombre actuellement 4 118 enfants morts dans les pensionnats. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a qualifié de génocide la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones. Ce génocide n’est pas chose du passé. Les souvenirs traumatisants ravivent la douleur des personnes survivantes et de leurs proches.

Je vous encourage tous et toutes à trouver les sites des pensionnats près de chez vous. Les derniers pensionnats ont été fermés entre 1995 et 1998. Ce n’est pas de l’histoire ancienne, et nombre d’entre nous ont certainement connu cet héritage maléfique.

Mise en œuvre des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation 

Notre responsabilité à tous et à toutes est de veiller à ce que tous les paliers de gouvernement (fédéral, provincial, territorial et municipal) et les institutions mettent en œuvre la totalité des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR). Posons les questions épineuses : Combien de ces appels ont été mis en œuvre? Que faudra-t-il pour les mettre tous en œuvre partout au pays?

La couverture médiatique nationale de la visite du Pape, de ses rencontres et de ses excuses la semaine dernière a été remarquable. Nous devons donc nous attendre à une couverture équivalente des progrès accomplis, à savoir : la mise en œuvre des appels à l’action de la CVR, le nombre d’appels mis en œuvre et les rapports sur les promesses tenues et bafouées. Le sujet est digne d’intérêt, et les médias nationaux se doivent de le reconnaître.

Face aux injustices, le silence n’a pas sa place.

Soyons présents pour les communautés autochtones. Soyons solidaires en devenant des alliées et alliés et en agissant sous la direction des communautés, des leaders, des militantes et militants autochtones. Mes chers amis et amies autochtones, je sais que les événements des derniers jours ont ravivé des souvenirs traumatisants. Sachez qu’il existe de nombreuses ressources à votre disposition et que des personnes alliées continueront de se battre à vos côtés afin d’éliminer toutes les formes de discrimination et d’injustice. Votre résilience et votre courage font la force du Nord et de notre nation.

Rendez-vous sur le site Web du Centre de la vérité et de la réconciliation, au nctr.ca, pour accéder aux ressources et télécharger les appels à l’action de la Commission de la vérité et réconciliation et d’autres rapports pertinents.   

La ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être offre également du soutien psychologique et de l’aide en cas de crise. Le service est offert 24 h sur 24, sept jours sur sept, au 1-855-242-3310 ou au www.espoirpourlemieuxetre.ca.

Cet article est paru dans le Yellowknifer le 3 août 2022.