Journée du chandail orange : du deuil à l’action

De Lorraine Rousseau

La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation est une occasion de rendre hommage aux peuples autochtones et de réfléchir aux circonstances qui ont mené à l’appel national à l’action. Au fil des ans, beaucoup d’entre nous avons commémoré cette journée en portant un chandail ou un foulard orange, en accrochant un ruban orange près du cœur, ou en mettant en évidence quelque chose d’orange au travail, en reconnaissance des survivants des pensionnats pour Autochtones et de ceux et celles qui n’y ont pas survécu.

C’est maintenant une fête nationale, mais pas pour tout le monde.

Pendant plusieurs années, la Journée du chandail orange du 30 septembre a été une occasion de sensibiliser la population à la vérité et à la réconciliation, et de réclamer justice pour toutes les victimes des pensionnats : survivants, enfants qui y ont laissé leur vie, et leurs familles. Cette année, la journée s’avère particulièrement pertinente alors que nos collectivités pleurent la mort de tous ces jeunes qui ne sont jamais retournés à la maison. Les victimes et les survivants de ces pensionnats étaient bien au courant des horreurs qui s’y cachaient. Avec la découverte des milliers de tombes anonymes, ces horreurs ne sont plus un secret.

La véritable histoire de cette terre qu’on appelle « Canada » a été mise au grand jour. Le temps est venu d’agir. À la suite de la découverte des tombes anonymes à Kamloops, des experts indépendants de l’ONU ont réclamé que la magistrature enquête sur toutes les morts suspectes et les allégations de torture et de violence sexuelle envers des enfants qui ont eu lieu dans les pensionnats, pour poursuivre et sanctionner les auteurs et les complices qui pourraient toujours être en vie. Depuis juin, des milliers de tombes anonymes ont été trouvées sur les terrains de plusieurs anciens pensionnats.

Les pensionnats pour Autochtones auraient été en activité de 1831 à 1997 (Kangiqtiniq/Rankin Inlet étant le dernier établissement connu). Environ 130 écoles ont abrité plus de 150 000 enfants arrachés à leur famille. Les pensionnats, dont bon nombre étaient dirigés par l’Église catholique de connivence avec le gouvernement du Canada, font bel et partie de notre histoire. Si vous êtes du Nord et y avez échappé, il y a de fortes chances qu’un ami ou un membre de votre famille y soit passé. Les atrocités qui se sont produites dans ces pensionnats n’affectent pas seulement les victimes et les survivants; le trauma intergénérationnel est une réalité qui pèse lourd sur les collectivités autochtones de l’ensemble du Canada.

Les collectivités, les familles et les amis autochtones ont besoin de temps et d’espace pour pouvoir vivre leur deuil et panser leurs plaies. Les alliés non autochtones doivent créer et respecter cet espace. Mais ce n’est pas assez. Pour qu’il y ait guérison, le gouvernement doit s’engager à emprunter la voie de la vérité et de la réconciliation. La réalité de ce génocide ne figure pas dans les livres d’histoire et n’est pas enseignée en classe. Or, c’est par la vérité que passe la réconciliation.

J’espère qu’au moment où vous lirez ces lignes, nous connaîtrons les résultats des élections fédérales. La réponse aux appels à l’action en matière de vérité et de réconciliation doit être en tête des priorités du prochain gouvernement. Le Nord et le reste du pays doivent avoir des députés qui travaillent à rendre justice aux victimes et aux survivants des pensionnats, ainsi qu’à leurs familles. Nos collectivités ont besoin de députés qui respectent les droits et la souveraineté des Autochtones, sans égards à leur affiliation politique. Les pensionnats pour Autochtones sont l’héritage le plus sombre de cette terre qu’on appelle « Canada », mais les injustices ne sont pas chose du passé. Les familles des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées attendent toujours que justice soit faite. Il y a présentement 51 avis d’ébullition en vigueur dans 32 collectivités. L’accès à l’eau potable est un droit fondamental. L’insécurité alimentaire dans le Nord et les régions rurales nuit considérablement aux collectivités autochtones. Les enfants autochtones sont surreprésentés dans les familles d’accueil. Les Autochtones sont surreprésentés dans les prisons. Les femmes autochtones affichent également un taux d’incarcération disproportionnel. Et ce ne sont là que quelques exemples.

Même si le 30 septembre est un jour férié national, beaucoup de travailleurs partout au Canada n’auront pas congé cette journée-là. Étonnamment, bon nombre de gouvernements provinciaux et territoriaux n’ont pas emboîté le pas pour que cette journée soit fériée pour tous les travailleurs et tous les étudiants. Le 30 septembre est une occasion pour tout le monde d’en apprendre davantage au sujet des droits et de l’histoire des peuples autochtones. Agissez pour qu’on donne suite aux appels à l’action à l’échelle nationale, régionale et locale, ainsi qu’au travail et dans les écoles.

Des activités et des ateliers sont organisés par des organisations véritablement autochtones partout au pays pour commémorer cette journée. Prenez le temps d’assister à au moins une de ces activités la semaine prochaine. Consultez le site Web du Centre national pour la vérité et la réconciliation pour trouver une liste d’activités virtuelles accessibles au grand public.

Alors que nous apprenons la vérité qui se cache derrière notre histoire, nous avons le devoir d’agir pour assurer un avenir meilleur. Nous ne devons jamais nous taire. Se taire devant les atrocités et les génocides, c’est se satisfaire des décisions précédentes, au détriment de la nation.