Budget fédéral : l’argent fait-il vraiment le bonheur?

Lorraine Rousseau

Le gouvernement fédéral a déposé son budget 2022 la semaine dernière et j’ai des raisons d’être optimiste. L’AFPC, notre syndicat, a accueilli favorablement les investissements qui rendront la vie plus abordable pour les travailleuses, les travailleurs et leurs familles. La volonté ferme du gouvernement d’investir dans les soins dentaires, le logement et un réseau de services de garde d’enfants abordables ne peut que nous réjouir, nous qui nous sommes battus longtemps pour la cause.

Dans son budget, le gouvernement parle beaucoup d’investissements « historiques » et « antérieurs », et fait grand cas de sa volonté de « bâtir des communautés autochtones solides et résilientes », comme si elles ne l’avaient pas toujours été! Les fonds sont là, mais encore faut-il y greffer des mécanismes de responsabilité, des actions et des mesures concrètes. Je pense, entre autres, à la nécessité de mettre ces fonds directement dans les mains des peuples autochtones, pour qu’ils en disposent à leur guise. À un mécanisme de divulgation proactive de l’information par les organismes gouvernementaux. À des actions directes pour s’attaquer aux obstacles, au traumatisme intergénérationnel, au racisme, à la discrimination et aux inégalités systémiques.

Un chapitre entier du budget, « Continuer à avancer sur le chemin de la réconciliation », est consacré aux besoins des communautés autochtones. On y trouve des mesures pour soutenir les enfants autochtones, faire face à l’héritage honteux des pensionnats pour autochtones, investir dans le logement abordable et l’infrastructure… la liste est longue. Il n’y a qu’à consulter le budget pour s’en convaincre et pour découvrir des chiffres prometteurs.

J’aimerais aujourd’hui me concentrer sur deux des priorités du gouvernement que j’ai été ravie de voir dans le budget : l’autodétermination des peuples autochtones et l’action climatique. Ces priorités sont essentielles à l’avenir du Nord… et du reste du pays. Le gouvernement s’est engagé à investir les sommes nécessaires pour assurer la mise en œuvre intégrale de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et pour favoriser le leadership climatique autochtone.

Dans le Nord, les changements climatiques n’ont rien d’abstrait. Nous sommes les premiers témoins de l’impact qu’a la crise environnementale planétaire. Les communautés autochtones sont particulièrement vulnérables aux conséquences des changements climatiques : inondations, feux de forêt, dégel du pergélisol, appauvrissement des sources d’aliments traditionnels. Le budget 2020 « propose de verser 29,6 millions de dollars sur trois ans, à compter de 2022-2023, à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada pour appuyer l’élaboration conjointe d’un programme de leadership climatique autochtone afin de soutenir des actions autodéterminées contre les changements climatiques pour répondre aux priorités climatiques des peuples autochtones. »

C’est beau, mais j’espérais qu’on nous propose bien plus que de l’argent.

La privatisation et la BIC

L’importance accordée à la privatisation par la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) demeure un problème de taille, car la sous-traitance ne touche pas seulement les travailleuses et les travailleurs, mais des collectivités entières. Le privé carbure aux profits et la privatisation affaiblit les services publics. La survie de nos communautés passe par des services publics stables et solides. C’est particulièrement vrai dans le Nord, où l’isolement et l’éloignement sont notre ordinaire. Les entreprises privées sous contrat avec le gouvernement nous offrent peu d’aide et encore moins de services. Les fonctionnaires ont toujours été et seront toujours les artisans et les gardiens des infrastructures fonctionnelles auxquelles se fient toutes les populations des régions éloignées.

Le gouvernement accordera 500 millions de dollars additionnels à la BIC, ce qui mènera droit à la privatisation d’infrastructures publiques essentielles, augmentera les coûts, multipliera les risques et compromettra la qualité des services offerts à la population.

La semaine dernière, le projet de loi C-245 a été débattu à la Chambre. Déposé par la députée manitobaine Niki Ashton en février, il vise la modification de la Loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada. La loi ainsi modifiée répondrait aux besoins des communautés autochtones et du Nord. En plus d’accorder la priorité à des projets respectueux de l’environnement, elle garantirait la participation active des Autochtones à la prise de décisions. Elle exigerait également que la BIC présente un rapport annuel détaillé sur ses activités et ses investissements.

Sans gestes concrets ni reconnaissance des réalités du Nord, l’argent fait-il vraiment le bonheur?