Par Lorraine Rousseau
La fête du Travail approche, et j’aimerais vous inviter à vous joindre à moi et à de nombreuses autres personnes au Canada pour la souligner. Je me réjouis à la perspective de la fêter pour la première fois en personne depuis 2019. Je serai ici, à Yellowknife, au parc Somba K’e, à profiter de la journée, à discuter avec des amis et avec les bénévoles et les travailleuses et travailleurs qui sont les forces vives du mouvement syndical dans le Nord.
La fête du Travail est une journée incontournable, et nous avons raison de la célébrer! Elle a été instituée en1872, à l’époque où les imprimeurs de Toronto se sont battus pour obtenir la journée de travail de neuf heures – un moment historique du mouvement syndical canadien. En prenant le temps de souligner cet événement, nous témoignons de notre reconnaissance envers les personnes qui ont posé les fondations du mouvement de défense des droits des travailleuses et travailleurs.
Le combat est loin d’être terminé. Cette année, je vous propose de réfléchir un instant aux nombreuses causes qui nous tiennent à cœur – au travail, dans la société et dans la vie en général. Je veux rendre hommage aux figures de l’ombre, qui travaillent fort et accomplissent des tâches essentielles sans être payées. De par le monde, les femmes accomplissent la majorité des tâches non rémunérées : la cuisine, le ménage et, dans plusieurs pays, le travail agricole. Des contributions indispensables à chaque foyer, mais rarement reconnues au même titre que le travail payé et non assorties des droits chèrement acquis par les travailleuses et travailleurs au fil des siècles.
Saviez-vous qu’à l’échelle de la planète, les femmes consacrent deux fois et demie plus de temps que les hommes aux tâches ménagères et aux soins d’autrui? Selon Oxfam, la valeur du travail impayé des femmes de plus de 15 ans dans le monde se chiffre à au moins 10 800 milliards de dollars par année. C’est le triple de la valeur du secteur des technologies.
Selon une étude des Comptes économiques nationaux de Statistique Canada, la valeur estimée du travail ménager non rémunéré au Canada se chiffrait entre 516,9 et 860,2 milliards de dollars en 2019. Ce qui représente de 25,2 à 37,2 % du produit intérieur brut (PIB) canadien de cette année. C’est plus que l’ensemble des secteurs de la production, du commerce de gros et du détail. Je suis consciente que si on le compare au reste du monde, notre pays fait tout de même bonne figure. Toutefois, notre système est loin d’être parfait.
Le travail non rémunéré contribue à l’appauvrissement des femmes, et la pandémie n’a qu’aggravé ce phénomène. Les pays s’affairent à la relance, mais pour que celle-ci soit juste, elle doit tenir compte de tout le monde, sans exception. Si le travail invisible est une question surtout féminine, c’est pour plusieurs raisons. On ne peut écarter l’influence des stéréotypes de genre, mais on ne peut non plus s’y limiter. Les femmes, et certains hommes, prennent sur leurs épaules les tâches non rémunérées parce qu’il faut combler les lacunes des institutions publiques en matière de services de garde, de soins de santé, de soins aux proches, etc.
Pour ONU Femmes, il est grand temps de rééquilibrer le partage de ce travail. Les hommes peuvent accomplir une plus grande part des tâches, évidemment, mais il faut aussi que les institutions politiques passent à l’action et que, comme citoyens et citoyennes, nous parlions haut et fort du problème pour trouver des solutions à l’échelle locale, nationale et internationale. Voici ce qu’ONU Femmes propose : « Pour que l’autonomisation économique des femmes s’accélère, il est désormais urgent de mettre en place des politiques assurant les prestations de services, une protection sociale et des infrastructures de base, qui encouragent le partage des travaux domestiques et de la dispense de soins entre les hommes et les femmes, et qui créent davantage d’emplois rémunérés dans l’économie des soins. »
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie? Entre autres : plus de services de garde subventionnés, des centres de soins de longue durée subventionnés par l’État, ne pas être à la merci du réseau privé en santé, établir et mettre de l’avant des programmes et des politiques pour éradiquer la pauvreté et l’insécurité alimentaire, instaurer un revenu minimum garanti.
Le changement, c’est un processus, et non un résultat. En cette fête du Travail, je vous invite à agir : signez une pétition, sensibilisez les gens autour de vous, parlez du problème, lisez un article pertinent… Célébrons les gains des travailleuses et travailleurs au fil des luttes antérieures, et n’oublions jamais que la justice sociale et l’équité entre les genres sont au cœur du mouvement syndical. Soulignons la valeur du travail invisible en demandant aux instances politiques de passer à l’action et de combler les manques dans les services essentiels, tels que la prestation de soins.